Parfois, l'histoire de certains projets vidéo-ludique avortés permet d'en savoir long, très long, sur l'histoire de leurs concepteurs. Project H.A.M.M.E.R. est à ce titre un cas très intéressant tant son histoire en dit long sur la situation passée et actuelle de Nintendo Software Technology (que l'on surnommera "NST" tout au long de cet article). Et c'est grâce à la dernière vidéo de Unseen64 (que vous pouvez retrouver à la fin de cet article), consacrée entièrement au jeu, que l'on en apprend plus sur cette histoire plutôt conflictuelle.
(À noter que toutes les infos présentes dans cet article sont le résultats d'une enquête menée par Tamaki de Unseen64 et que les sources d'origines ne peuvent être citées pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons).
Souvenez vous, à l'E3 2006 Nintendo dévoile Project H.A.M.M.E.R., le tout nouveau projet de Nintendo Software Technology, un studio filiale de la firme de Kyoto, basé à Redmond aux États-Unis, tout proche du siège de sa division américaine (le studio est responsable de nombreux jeux notable comme Wave Race et 1080° Avalanche sur Gamecube ou encore de tous les jeux de la série Mario Vs. Donkey Kong). Si le jeu ne fait alors qu'une brève apparition lors de la conférence, il dispose d'une démo jouable basée sur une version en développement très avancée (le jeu n'étant à l'époque pas si loin d'être terminé). Il se présente alors comme un beat 'em up dont le gameplay se base sur les fonctionnalités de la wiimote. Des images de cette démo de l'E3 2006 sont facilement trouvables sur internet notamment grâce à de nombreuses vidéos comme celles ci-dessous:
Mais dès 2007 l'histoire du fameux projet commence à s'assombrir. En effet, le jeu ne fait aucune apparition à l'E3 cette année là et la presse commence à s'inquiéter d'une potentielle annulation. L'histoire aura donné raison à cette inquiétude puisque le jeu ne sera jamais re-présenté, Nintendo of America avouant même dès l'E3 2007 que le développement du jeu ne figurait plus parmi les priorités de la firme, précisant cependant que le jeu pourrait peut-être refaire surface un jour ou l'autre.
Nous sommes aujourd'hui en 2015 et si certains fans ont encore l'espoir de revoir le jeu un jour, ce dernier n'a cependant jamais redonné de ses nouvelles depuis. Mais grâce à Unseen64 nous en savons désormais plus sur ce que ce fameux Project H.A.M.M.E.R. est devenu.
Le développement du jeu aurait ainsi commencé en 2003 et aurait au départ été assuré par une partie de l'équipe qui s'était chargée de 1080° Avalanche, un jeu de snowboard sorti en 2003 sur gamecube faisant suite à 1080° Snowboarding sorti sur Nintendo 64 quelques années plus tôt. Il ne s'agissait alors que d'une équipe en petit effectif, elle n'était en effet composé que d'une dizaine de personnes.
Le scénario du jeu devait se baser sur MO-9, un cyborg créé par un programme secret du gouvernement américain nommé Project H.A.M.M.E.R.. Ce programme secret devait alors prendre place dans un futur proche où les États-Unis devaient faire face à une invasion massive par une armée de robots, invasion que l'armée américaine n'aurait pas réussi à contrer. MO-9 devait alors, équipé d'un marteau de haute technologie, tenter de combattre cette armée robotique.
Cependant, alors que le développement du jeu était plutôt avancé (il était, en 2006, terminé à plus de 75% selon certains de ses développeurs) ce dernier fut au centre de désaccords très prononcés entre les membres japonais de la direction de NST et les développeurs américains du studio. Ce développement représentait alors un important défi culturel pour NST tant la vision de la direction japonaise et celle des développeurs américains différaient entre elles.
Le design du jeu et le soucis de le rendre plus amusant étaient les deux points précis qui cristallisaient les désaccords et les disputes entre les deux parties. En effet, alors que les développeurs américains travaillant sur le projet avaient suggéré l'idée de retravailler entièrement le gameplay pour le rendre plus attractif, une partie de membres japonais de la direction firent le choix d'ignorer totalement ces idées, ils étaient alors persuadés que la clé pour rendre le jeu plus amusant résidait dans une révision des environnement de jeu.
Malgré ces difficultés l'équipe continua à travailler sur le développement et à tenter de faire le meilleur jeu possible. Début 2006 l'équipe s'élargit grâce à l'arrivée de nombreux développeurs qui étaient auparavant en charge de Metroid Prime Hunters dont le développement venait de se terminer. À partir de là, une partie de l'équipe se chargera de préparer la présentation du jeu pour l'E3 2006 avec notamment la conception de la démo jouable. Et si le jeu y fut révélé sous le nom de code de Project H.A.M.M.E.R., il était à ce moment déjà connu en interne sous son nom quasi définitif: MACHINEX.
La suite des événements a déjà été évoqué plus haut, en 2007 la presse s'inquiéta d'une potentielle annulation ce à quoi Nintendo répondit que le développement n'était plus une priorité, mais que le jeu n'était pas annulé pour autant.
Et en effet, aucune annulation n'était alors à l'ordre du jour puisque jusqu'en 2008, le développement de MACHINEX continua sans interruption. Les difficultés évoquées plus haut ne cessaient cependant de s'accentuer, notamment concernant le gameplay. Selon un ancien développeur, le jeu n'arrivait toujours pas à être amusant et il fut même considéré en interne comme un immense gâchis. De plus, la direction japonaise continuait d'ignorer totalement la moindre proposition de changement émise par les développeurs.
Les désaccords entre japonais et américains prirent alors une ampleur jusque là inégalée au cours du développement. Certains développeurs suggérèrent en effet que le problème c'est qu'ils ne comprenaient pas parce qu'ils n'étaient pas japonais, jugeant même qu'ils savaient très bien comment faire un jeu amusant mais que les japonais ne voulaient pas le comprendre et qu'ils n'écoutaient pas les membres de l'équipe qui n'étaient pas japonais. Plusieurs développeurs dénonçant également et plus largement les conditions de travail chez NST.
En 2008, la direction du studio décida d'abandonner le jeu dans la forme qu'il avait alors et de tout recommencer à zéro avec un style graphique complètement différent. Adieu MO-9 et le style bien particulier de son jeu, une refonte totale basée sur des graphismes cartoon et un nouveau personnage était née. Cette refonte, dont le nom de code choisi fut Wii Crush, conserva le cœur du gameplay de MachineX mais tout le scénario et les environnement de jeu furent refait à partir de zéro dans un style plus "casual" proche de Wii Sports.
Malgré cette transformation, NST jugea que le jeu n'était toujours pas le jeu amusant tant désiré. Dès 2008, une partie des développeurs commença à quitter le navire et le designer en chef du projet fut viré par le studio. La direction refusa alors de prendre la moindre responsabilité dans ce désastre et préféra blâmer certains développeurs. D'anciens membres de NST accusèrent alors la direction japonaise de nationalisme et de racisme. Cependant le développement du jeu ne s'arrêta pas à ses événements et il continua jusqu'en 2009 date à laquelle le jeu fut abandonné pour de bon.
En définitive Project H.A.M.M.E.R. fut un immense gâchis financier et son abandon après 5 ans et demi de développement et énormément de temps dépensé à tenter de résoudre ses problèmes fini par dévaster totalement NST. Une partie des développeurs responsables de jeux très appréciés de la critique et du public comme Wave Race, Ridge Racer, 1080° Avalanche, ou encore Metroid Prime Hunters quittèrent le studio suite à cette désastreuse expérience, certains d'entre eux n'ayant d'ailleurs depuis plus du tout retravaillé dans l'industrie vidéo-ludique.
Depuis, Nintendo a fait de NST, une société qui fut pourtant à une époque pleine de potentiel, un studio mineur qui ne s'occupa plus jamais de projet d'envergure. L'activité du studio a en effet été re-centré sur des projets mineurs comme l'application Wii Street U ou de nouveaux opus de la série Mario Vs. Donkey Kong.
Project H.A.M.M.E.R. est ainsi révélateur de l'histoire d'un studio déchiré par des différences culturelles à l'origine de nombreuses divergences de point de vue. Si la question du racisme primaire dont aurait fait preuve les membres japonais de la direction de Nintendo Software Technology (rappelons que si le studio est composé en majeure partie de développeurs américains il reste dirigé presque exclusivement par des japonais parachutés là par Nintendo Japan) est le point qui fait énormément débat depuis la publication de la vidéo par Unseen64, il est utile de rappeler qu'elle ne constitue en rien une nouveauté. En effet, le racisme dont peut faire preuve la société japonaise en général est une chose bien réelle et ses rapports à l'occident ont toujours été quelque chose de particulier et de, parfois, conflictuel (ndlr: il est bien ici question de la société dans le sens de l'ensemble des japonais et non de la société Nintendo). Ainsi, et il est important de le dire, montrer que certains développeurs américains ont pu, à un moment dans l'histoire de Nintendo, dénoncer une certaine forme de racisme chez les représentants japonais de la firme, est loin d'être une mauvaise chose contrairement à ce que voudraient faire croire certains membres de forums américains comme NeoGAF. Le cas de Project H.A.M.M.E.R. et de NST montre parfaitement que la firme de Kyoto peut prendre et a pris dans le passé de très mauvaises décisions, et dans cette affaire la firme aura tout de même perdu un immense potentiel, ce potentiel que NST possédait avant ce désastre.
Pour conclure je tiens à féliciter et remercier Tamaki de Unseen64 qui a réalisé un incroyable travail de recherche en déterrant une affaire plus qu'intéressante. Quant aux sources, qui ne peuvent être citées comme cela a été dit en début d'article, il me semble utile de rappeler que dans ce genre d'exercice délicat, certaines sources peuvent risquer la perte de leur emploi si leur identité venait à être révélée, les dites sources étant bien souvent soumises à des NDA les empêchant de révéler publiquement certaines informations. Car oui, c'est aussi ça le journalisme d'investigation.